Textes de résistances
Mêlant récits autobiographiques et fictions,
cette rubrique recueille une sélection des meilleurs textes de résistances.
Qu’est-ce qu’un texte « de résistance » ? Peut-être un texte jalon dans l’histoire des luttes,
et à même d’entretenir, voire de réactiver, la flamme d’ un imaginaire de gauche
quelque peu mis à mal par l’histoire récente ?
Les bandits, E J. Hobsbawm, La Découverte, 11€
Les Haïdoucs, les Cangaceiros, Billy the Kid et les bandits américains, figures passionnantes et controversées. Pour certain·e·s simples hors-la-loi, pour d’autres figures de justiciers et de héros, d’où nous vient le banditisme social. Une passionnante analyse d’un phénomène mondial de révolte, de désobéissance et de lutte.
On a perdu Quentin, Eric Louis, Editions du Commun, 6€
Eric Louis est cordiste. Il travaille la plupart du temps à l’intérieur d’un silo industriel, dans une quasi obscurité, dans la poussière et la chaleur devenant vite intenable. Suspendu, il effectue des travaux en hauteur, ou dans des endroits difficiles d’accès.
Dans ces deux courts textes, il raconte son quotidien de travailleur précaire, intérimaire. Un portrait court et puissant d’une vie de prolétaire où les amitiés se nouent sous les brimades des patrons. Les conditions de travail sont exténuantes, c’est la routine d’une semaine consacrée à un travail abrutissant.
De colère et d’ennui, Paris, Chronique de 1832, Thomas Bouchet, Anamosa, 18€
1832, une année marquée par l’épidémie de choléra et l’insurrection républicaine. À Paris, quatre destins de femmes de tous horizons se croisent et s’entremêlent dans les sursauts du siècle. À travers leurs correspondances, découvrez la vie quotidienne des femmes de 1832. Des destins de fiction, mais un travail d’historien de grande qualité, émaillé de références. Passionnant.
Théorie du tube de dentifrice, Peter Singer, La goutte d’or, 18€
La théorie du tube de dentifrice ou la métaphore de combat préférée d’Henry Spira, activiste américano-belge décédé en 1998 et figure emblématique du mouvement antispéciste. En effet, si le dentifrice refuse de sortir du tube, deux méthodes s’offrent à vous : appliquer plus de pression ou désobstruer au maximum l’embouchure. Cette combinaison, Henry Spira l’appliquera toute sa vie, parvenant à faire plier plus d’une entreprise transnationale… À la croisée de la biographie et du manuel militant, Peter Singer nous livre un des ouvrages les plus galvanisants de l’année, où l’espoir d’une société égalitaire n’a rien d’inaccessible.
Nous étions debout et nous ne le savions pas, Catherine Zambon, La Fontaine éditions, 12€
« Quand je traverse la ZAD / ça s’appelle la ZAD chez moi maintenant / quand je traverse ce bocage resté indemne de toute agro-industrie depuis 30 ans / des mains se lèvent de ces maisons réoccupées / les regards pétillent »
Des paroles militantes touchantes et pleines d’espoir. Un texte rare et régénérant.
Les Argonautes, Maggie Nelson, Editions du Sous Sol, 19.50€
La grossesse serait-elle « quelque chose d’essentiellement queer » dans la mesure où elle « altère profondément l’état « normal » d’une personne, […] occasionne une intimité radicale avec – et une aliénation radicale vis-à-vis de – son propre corps ? Comment une expérience si profondément étrange, sauvage et transformatrice peut-elle aussi être perçue comme le symbole […] de l’ultime conformité ? »
Aux frontières de l’essai et du récit autobiographique, Maggie Nelson nous livre un texte incroyablement stimulant. L’auteure sait user avec vivacité de quantités de références et d’auteurs sans jamais pontifier ni écraser. Vif et novateur, Les Argonautes donne vraiment à penser. Une des grandes découvertes de 2018.
Qu’est-ce qu’une barricade ? Peut-on définir, d’une manière absolue, sa matière ? Quelle place prend cet objet dans l’espace de la ville et dans celui de la société ? À quel point l’image que l’on a aujourd’hui des barricades du XIXe siècle a-t-elle pu être biaisée par les institutions et l’historiographie ? Et quelles formes prennent les barricades au XXIe siècle ? Que disent-elles de notre monde contemporain, de notre rapport au temps, à l’espace public et à son contrôle, aux flux ?
Ceci est mon sang, Elise Thiébaut, La Découverte, 16€
Bien moins solennel que le verset qu’il paraphrase, Ceci est mon sang étudie avec humour la perception des menstruations dans nos sociétés. Mêlant habilement décorticage historique, leçons de biologie et éventail critique des protections périodiques, cet essai détonnant peut se lire dès quinze ans.
Se défendre, Elsa Dorlin, Zones, 18€
Elsa Dorlin décortique les notions-clés de « légitime défense » et d’« auto-défense », positionnant la première comme celle réservée aux corps « dignes d’être défendus » – soient les hommes blancs hétérosexuels – tandis que la seconde incarne l’arme des parias, des suffragettes anglaises aux Black Panthers. A la croisée de l’histoire et de la philosophie, cet ouvrage relate une généalogie politique de la violence et de ses usages, aux échos particulièrement actuels.
Être forêts, Jean-Baptise Vidalou, Zones, 14€
[à paraître dans le courant du mois de décembre]
Seulement 10 mètres – Nouvelles de Palestine, Nassar Ibrahim & Majed Nassar, éditions CNT-RP, 10€
« Cela aurait pu être un jour comme les autres, mais la boite de café était vide ». A travers onze histoires fictives ou réelles, les deux auteurs, journaliste et chirurgien, délivrent des fragments du quotidien de Palestiniens dans l’ombre d’un territoire confiné. Un recueil qui soulève sourires, émotions et réflexions.
Saisons, Nouvelles de la ZAD, Collectif Mauvaise Troupe, L’éclat, 6€
Le collectif Mauvaise troupe revient nous donner des nouvelles de Notre-Dame-des-Landes et de l’actualité des luttes ! En compilant les témoignages, « Saisons » retrace l’histoire du lieu par ceux qui l’ont vécu, donnant une portée nouvelle aux projets qu’ils défendent pour préserver cet écosystème. Stimulant !
Révoltée, Evguénia Laroslavskaïa-Markon, Seuil, 16€
« Le « pouvoir » soviétique est déjà totalement pourri et s’écroulera probablement très vite ». Ainsi s’exprime l’auteure, en 1931, alors même qu’elle est interrogée par la police d’État, peu avant son exécution. Cette courte autobiographie retrouvée récemment dans les archives du KGB dresse le portrait d’une femme extraordinaire, enragée, anarchiste, voleuse, proche de l’avant-garde culturelle de l’époque, et qui estimait que la pègre est la seule classe vraiment révolutionnaire. Un témoignage brut, détonnant, arraché à la Grande Histoire et à son corollaire, l’oubli.
Chronique de la zone libre, Cosma SALE, Le Passager Clandestin, 15€
Ce texte, écrit comme un carnet de route, de ZADs en squats, de combats en vagabondages, nous emporte dans la lutte menée aujourd’hui par une frange de la population, contre ces grands projets inutiles, contre un mode de vie qui ne convient plus, pour un effondrement prochain.
De Notre Dame Des Landes au Testet en passant par Roybon ou Lyon, ce livre est le fruit de l’imaginaire d’une génération pour réinventer le monde dans ses moments les plus insignifiants comme dans ses symboles les plus représentatifs.
Un texte très littéraire, fait d’impressions, de souvenirs, de moments hors du temps, pour mieux appréhender la réalité de ces vagabonds modernes.
Grandement apprécié par Paco et Fabien
MA GUERRE D’ESPAGNE A MOI, Mika Etchebéhère, Milena, 16 € (avec un DVD) (Existe aussi en format poche chez Actes Sud)
« Je suis incapable de trouver une autre occupation que celle de me faire tuer. Je n’ai pas, comme les miliciens, le droit de traîner dans les bars pour écourter les jours et les nuits sans combats. Mon statut de femme sans peur et sans reproche, de femme à part, me l’interdit. Mes convictions personnelles aussi me l’interdisent. Alors il ne me reste qu’à me plonger dans le manuel de formation militaire que j’essaie d’apprendre par cœur…
Mika Etchebéhère (1902-1992) dirigea une colonne du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) en 1936-1937. Ce passionnant témoignage de femme au coeur de la guerre d’Espagne fait aussi réfléchir sur la manière dont les hommes font la guerre – et donne envie de relire Hommage à la Catalogue de Georges Orwell.
B. TRAVEN, L’armée des pauvres, éd. Cherche midi, 21 €
Ce roman écrit en 1937, enfin traduit en français, est l’œuvre du mystérieux auteur du Trésor de la Sierra Madre (adapté en film), qui a pris part à la révolution spartakiste, puis a été sans-papier en Europe et pourchassé, avant de rejoindre le Mexique où il a notamment écrit des romans dépeignant les conditions de vie des paysans pauvres. Beaucoup de romans de Traven sont incontournables. On pourrait citer Le vaisseau des morts, mais aussi La révolte des pendus. Une pauvre troupe de péons mal armés et inexpérimentés affrontent les troupes bien équipées et expérimentées du dictateur. Peu sûrs de vaincre, ni même de survivre longtemps encore, ils livrent de splendides tirades sur le sens de la vie, de la mort, de la lutte et de la liberté. Inspiré de la révolution mexicaine, L’armée des pauvres est, plus qu’aucun autre, une ode totale à la révolte et un magnifique roman de lutte et d’espoir apte à remonter le moral des plus fragilisés. A mettre entre toutes les mains.
Remarquable témoignage réédité par les éditions La fabrique, les Souvenirs d’un révolutionnaire de Gustave Lefrançais aident à relativiser les peines et duretés de l’époque. De juin 1848 à la Commune, l’auteur aura connu l’exil en France et à l’étranger, la prison [?] et un long passage à vide : le second empire. Et puis, soudain, les feux de la communes, et puis les cendres. Mais quelles cendres !
Dirty week-end de Helen ZAHAVI est « l’histoire de Bella qui se réveilla un matin et s’aperçut qu’elle n’en pouvait plus ». Sans cesse harcelée par les hommes, elle décide d’inverser le rapport de force. Rageur, cathartique et jubilatoire, ce texte, malheureusement épuisé, n’est pas sans rappeler Baise-moi de Virginie DESPENTES - le tout premier de ses « romans punks ». L’occasion de recommander chaudement la lecture de King kong théorie, remarquable essai appuyé sur l’expérience personnelle de l’auteure. Virginie Despentes n’a peur de rien – et surtout pas de nous déranger – et elle a bien raison !
Mèmed le Mince de Yachar Kemal (traduit en français en 1975)
On raconte que François Maspero mettait ce livre dans les mains de tous ses clients, à la librairie La joie de lire. Comme je le comprends ! Mèmed est un jeune paysan que rien ne destine à l’aventure. Mais le jour où l’Agha du village – un notable qui pratique le droit de cuissage et possède droit de vie et de mort sur les villageois – projette de lui dérober sa fiancée, Mèmed prend le maquis, et devient un véritable Robin des bois anatolien. Chose rare, ce roman (et ses suites Mèmed le faucon et Le retour de Mèmed le mince) réunit les trois veines du roman d’aventure, du roman social et du grand texte littéraire capable de camper une nature sauvage splendide.
Travaux de Georges NAVEL est le plus beau texte que je connaisse sur le monde ouvrier et le travail manuel. A 17 ans, Navel fréquente la Bourse du travail de Lyon, où se réunissent des anarchistes. Tête dure, il ne cesse de changer de métier et de ville, de se révolter contre les injustices – il ira d’ailleurs se battre quelques temps en Espagne. « Il y a une tristesse ouvrière dont on ne guérit que par la participation politique. »
Ont aussi leur place dans cette rubrique les ouvrages de Panaït Istrati, Albert Cossery, Maya Angelou, sans oublier Warda de Sonallah Ibrahim, Sans patrie ni frontières de Jan Valtin, Insurrection de Paolo Pozzi, Un petit boulot et Tribulations d’un précaire de Iain Levinson, La parole contraire d’Erri de Luca, Parce qu’ils sont arméniens de Pinar Selek, Les Feuillets d’Hypnos de René Char (dans le recueil Fureur et Mystère), Ma vie de brigand de Cesare, Les prolos de Louis Oury (Agone), Défendre la ZAD du Collectif Mauvaise troupe