Nos coups de cœur
Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir, Cookie Mueller (R.Vinet-Kammerer), 10/18, 6.60€
Quinze nouvelles autobiographiques renversantes et désopilantes par Cookie Mueller, icône oubliée de la contre-culture américaine. A travers sa gouaille inénarrable, Cookie esquisse l’Amérique des décennies soixante à quatre-vingt et l’histoire de la dernière avant-garde new-yorkaise. Mais ce qui rend inoubliable la lecture de ce recueil est ce vent de folie et de spontanéité qui bat la mesure de ces histoires et la description de cette vie dans les marges, nous instillant malicieusement un puissant concentré d’indépendance.
L’aurore, Selahattin Demirtas (J. Lapeyre de Cabanes), éditions Emmanuelle Collas, 15€
Seher, c’est « l’aurore » en turc. C’est également le journal dans lequel Zola écrivit « J’accuse » pour défendre Dreyfus. Et c’est enfin le titre du recueil de nouvelles, dédié aux héroïnes du quotidien, de Selahattin Demirtas, leader du HDP, principal opposant à Erdogan, incarcéré depuis novembre 2016 en Turquie. Qu’il soit question de crime d’honneur, de la violence politique, ou de l’exil, l’auteur déploie une matière humaine incomparable et creuse une poésie des humbles, qui ne se départit jamais d’un petit grain de folie.
Adolfo Kaminsky – Une vie de faussaire, Sarah Kaminsky, Livre de poche, 7.20€
« Rester éveillé. Le plus longtemps possible. Lutter contre le sommeil. Le calcul est simple. En une heure, je fabrique trente papiers vierge. Si je dors une heure, trente personnes mourront… » Une autobiographie trépidante d’un homme qui, sa vie durant, aura officié comme faussaire pour l’indépendance des peuples, sous l’occupation allemande et pendant la Guerre d’Algérie.
Une immense sensation de calme, Laurine Roux, Le Sonneur, 15€
Alors que sa grand mère vient de rejoindre « le Grand-Sommeil« , une jeune fille rencontre Igor, un homme mystérieux, qui livre du poisson séché à de vieilles femmes isolées dans la montagne. Dans une Sibérie traversée par les plus curieuses légendes, ces deux êtres s’apprivoisent. Entre le conte noir et la fable merveilleuse, ce texte envoûtant est une variation fascinante sur le lien de l’homme à la nature et au passé.
« Au milieu de la ville il y avait le désert, et j’y suis allé : j’y suis resté un an. » Figure majeure du vingtième siècle italien, Vittorini est notamment l’auteur du remarquable Conversations en Sicile. Dans Les hommes et la poussière, recueil de nouvelles souvent étranges et énigmatiques, on avance comme dans un rêve en se disant : voilà un grand écrivain !
Codine, Panaït Istrati, Libertalia, 8€
Réédition de l’immense classique de l’écrivain roumain Panaït Istrati, Codine nous emmène dans les quartiers pauvres de Braïla, où Adrien Zograffi et sa mère viennent d’emménager. Histoire de l’amitié immense entre le petit garçon Adrien et le grand Codine, colosse violent et redouté, ce roman s’inscrit sans hésitation dans les monuments de la littérature mondiale.
A Alep, à la lueur d’une bougie, un homme écrit jour après jour le quotidien d’une population plongée en enfer et tous ces événements qui ne peuvent surgir qu’en temps de guerre. Un texte bouleversant aux fulgurances poétiques, qui laisse entrevoir des éclaircies.
Nirliit, Julianna Léveillé-Trudel, La Peuplade, 18€
Jules Verne, invité par une lointaine connaissance à une partie de chasse, nous y décrit joyeusement les us et coutumes de ces étranges personnages que sont les chasseurs. Une journée de chasse qui ne se déroulera décidément pas comme prévue. Une petite redécouverte joyeusement irrévérencieuse.
Syrie, Liban, Egypte, Grèce… Embarquez-vous avec Istrati pour suivre les vents de la Méditerranée.
Après avoir écrit autant de textes parfaits et importants, Annie Ernaux a-t-elle encore « quelque chose à dire » ? Et comment un épisode de son intimité de jeune fille – il se déroule durant l’été 1958 – pourrait-il toucher un lecteur qui pourrait être son fils, plus d’un demi-siècle après ? Mais c’est là toute la magie de la littérature, et des grands auteurs, de ceux qui possèdent une réelle puissance d’évocation, que de toucher à une forme d’universalité. Evocation de ces gestes, de ces phrases, de ces épisodes de l’adolescence que l’on préfèrerait oublier, et dont on ressort mortifiés, ce livre aurait pu s’intituler « La honte ». Mais ce n’est pas un livre dont Annie Ernaux aura à rougir !
Les portes de fer, Jens Christian Grondahl, folio, 8.30€
Avec quelle finesse dans le pinceau ce grand romancier danois brosse le portrait d’un homme qui pourrait être chacun d’entre nous ! Confronté à différents âges, à ses choix, à son passé, à ses histoires d’amour et à ses échecs, cet individu examine, soupèse, ré-analyse – pour finalement passer à côté de sa vie ? Mais Grondhal n’est pas passé à côté de son roman, qui parvient parfaitement à rendre ce vide caractéristique du monde contemporain. Un grand roman, d’une extrême profondeur psychologique.
Trois filles d’Ève, Elif Shafak, Flammarion, 22€
Nikos Kokàntzis nous livre une histoire d’amour inoubliable entre deux adolescents qui découvrent leurs sentiments et leur sensualité, dans un environnement hostile – celui de la Seconde Guerre mondiale. Alors que la violence fait rage, les deux personnages évoluent et grandissent, toujours remplis d’espoir et de rêves. La réédition d’une grande ode à l’amour !
Tropique de la violence, Nathacha Appanah, Gallimard, 17.50€
Une plongée dans l’enfer de Mayotte, petite île de l’océan Indien et 101ème département français, à travers l’histoire de cinq personnages qui subissent la fureur d’un territoire au bord du chaos. Il y a l’inoubliable Moise, inséparable de son livre L’enfant et la rivière. La fureur et la grâce de l’écriture de Nathacha Appanah – à couper le souffle.
Pour services rendus, Iain Levinson, Liana Levi, 18 €
Le sergent Drake mène une vie de flic tranquille et blasé dans une petite bourgade quand un vieux pote, qu’il préfèrerait oublier, se rappelle à lui. Vétéran de la guerre du Vietnam, il n’a aucune envie de se replonger dans ce passé obscur et pas si glorieux – nous non plus d’ailleurs ! Mais sous la plume de l’auteur génial de Tribulations d’un précaire & Un petit boulot se cisèle un roman passionnant, détonnant, drôle, fin et admirablement construit. Une perle !
Les pas d‘Odette, Patrick Da Silva, Le tripode, 9€
Un homme raconte sa mère, Odette, à pas comptés. Une vie simple en poésie :
« Même à pas menus, même. Oui menus, désormais, mais pour autant jamais comptés. Pour autant, tout menus qu’ils sont devenus, pas plus comptés qu’avant, lorsqu’ils étaient, les pas, plus grands. Plus grands, plus vites et plus allants. Avant, quand elle était juste mémé, mémé, sans qu’il y faille rien ajouter, vu qu’elle était la seule de sa catégorie. Vu que l’autre, c’était Omi ou mamie. Mais maintenant qu’elle a pris un galon de plus aux épaulettes il faut bien préciser, il faut bien dire Odette en plus de mémé, pour dire qu’elle est arrière-mémé. »
Jours de famine et de détresse, Neel Doff, L’échappée, 16€
Le courage qu’il faut aux rivières, Emmanuelle Favier, Albin Michel, 17€
A découvrir.
Cette chose étrange en moi, Orhan Pamuk, Gallimard, 25€
Orhan Pamuk poursuit son exploration de la belle du Bosphore, Istanbul, sa ville de cœur et de naissance, à travers les apprentissages de Melvut, au cœur candide, vendeur de rue de boza, boisson fermentée traditionnelle prisée par les Turcs. Une inoubliable épopée prolétarienne.
Histoire de la bergère, Léo Barthe, Le Tripode, 15€Au gré de ses envies, un bouvier offre ses services journaliers de ferme en ferme. Un beau jour, il croise une bergère emportée par l’ardeur de ses sens. Sous le nom de Léo Barthe, Jacques Abeille, signe un roman poétique et érotique, aux accents naturalistes, presque primitifs, célébrant l’amour, le désir, la transgression et la liberté chevillée aux corps. Un grand texte.
Ör, Audur Ava Olafsdottir, Zulma, 19€
Les huit montagnes, Paolo Cognetti, Stock, 21.50€
Voici un titre qui figure au nombre de nos plus chaleureuses recommandations en cette fin d’année. Beau roman d’apprentissage et de filiation sur fond de nature, ce texte dit des fragments de vie à travers une langue pure et vive, tout en pudeur et profondeur, et nous invite à éprouver par la vue, le toucher, les sonorités et les parfums, la beauté des montagnes et des hommes.
Un chant céleste, Yan Lianke, Picquier, 13€
Dans un petit village niché dans les montagnes vit You Sipo qui élève seule ses quatre enfants idiots de naissance. Un jour, alors qu’elle cherche un « gens-complet » pour marier sa troisième fille, elle découvre comment délivrer sa descendance de ce terrible mal… Fabuleuse fable insolite sur l’amour maternel et la tolérance, Un chant céleste ravit par sa prose flamboyante à l’humour magique qui donne forme à l’invisible.
De la marge au centre ; théorie féministe, Bell Hooks, Cambourakis, 22€
Dans le sillage de Ne suis-je pas une femme ?, bell hooks, intellectuelle et militante africaine-américaine, poursuit son analyse de l’histoire et des enjeux de la pensée féministe du siècle passé, majoritairement élitiste et blanche, et insiste sur la nécessité de mieux prendre en compte les identités culturelles minoritaires afin d’asseoir un mouvement politique global et pérenne. A mettre entre toutes les mains !
La terre qui les sépare, Hisham MATAR, Gallimard, 22€50€
En 1990, l’activiste politique Jaballa Matar disparaît dans les geôles libyennes, sous la dictature de Kadhafi. Vingt ans plus tard, son fils Hisham Matar, qui a foi dans le pouvoir consolateur des récits, recompose l’histoire de son père, de sa famille et de son pays. Un grand livre à la beauté stupéfiante – d’or et déjà un classique.
Vernon Subutex, Virginie DESPENTES, Grasset, 19,90€
Pourquoi se ruer sur Vernon Subutex ? Parce que Virginie Despentes est la plus punk des auteures contemporaines. Parce qu’elle a cessé de faire des romans rock. Parce qu’elle est devenue une écrivaine brillante, capable de camper des personnages touchants et attachants – on croirait nos ami.e.s. Parce qu’elle a écrit le brillantissime King Kong Théorie. Parce que, si on ne voyait pas où elle nous menait avec le premier tome de Vernon Subutex et que le second était à la fois brillant et désemparant, le troisième, à l’instar des précédents, nous tient rivé à la page. Merci à Virginie Despentes de nous raconter des histoires différentes.
Les bottes suédoises, Henning MANKELL, Seuil, 21 € & 7.70 €
Suite informelle et indépendante des Chaussures italiennes, Les bottes suédoises renouvelle le miracle. Le râleur à la fois insupportable et attachant vit toujours sur son île, il hésite toujours, toujours ne trouve pas les mots. Qu’est-ce qui le fait tenir ? Comme toujours, Mankell touche au plus juste, à l’essentiel. A lire avec lenteur.
Les prolos, Louis OURY, Agone, 19 €
Issu du monde agricole, Louis Oury devient apprenti puis chaudronnier dans les chantiers navals de Saint-Nazaire. Cette autobiographie passionnante (et mal nommée ?) livre un témoignage remarquable sur les conditions de vie et de lutte des ouvriers, notamment en 1955, date de grandes grèves auxquelles l’auteur prendra une part active.
Retrouvez des titres semblables dans notre catégorie « Textes de résistances«
Station Eleven, Emily ST. JOHN MANDEL, Rivages, 22€
Au premier abord, Station Eleven se présente comme un énième et bête roman survivaliste : une pandémie emporte l’immense majorité de la population en quelques jours. Certes le genre est plaisant : on aime à trembler à l’idée de fin du monde bien au chaud dans nos pantoufles. Mais ce qui distingue ce roman de la canadienne St John Mandel de La route de Cormac Mccarthy, par exemple, ou de Extinction, de Matthew Mather, c’est d’abord son absence totale de complaisance pour le glauque, les scènes d’horreur ou les combats – et son propos humaniste. En un mot, Station eleven, qui met notamment en scène une troupe d’acteurs qui se déplacent pour jouer Shakespeare devant les survivants, est, en creux, un chant d’amour à la beauté de notre civilisation. Etonnant. Excellent.
Le jardin arc-en-ciel, Ito OGAWA, Picquier, 19 € 50
Une rencontre, et voilà deux vies engagées dans un cours tout aussi heureux qu’improbable. Ce Jardin arc-en-ciel appartient à la catégorie (rare) des livres qui ouvrent des possibles, inventent des utopies (amoureuses) et combattent les préjugés en traçant des voies nouvelles. Où l’on retrouve de cette douceur et tendresse réparatrice qui nous avait séduit dans Le restaurant de l’amour retrouvé, ce titre qui figure au nombre de nos plus chaleureuses recommandations de libraires.
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Venise est lagune, Roberto Ferrucci, La Contre allée, 8 € 50
Douce et nostalgique à la fois, cette méditation littéraire sur l’impact du tourisme sur la fragile lagune de Venise est en fait un véritable cri de colère d’un Vénitien contre les monstrueux paquebots – symboles de cette véritable foire touristique que promeut l’actuel maire – qui mettent en péril cette ville belle à couper le souffle.
Les bottes suédoises & Les Chaussures italiennes, Henning MANKELL, Seuil, 21 € & 7.70 €
Avec Les bottes suédoises, suite informelle et indépendante des Chaussures italiennes, on retrouve cet homme en fin de vie qui a trouvé refuge sur l’île familiale, ce râleur à la fois insupportable et attachant. Je déteste dire d’un livre qu’il s’agit d’un chef d’œuvre. Et pourtant… Quand on lit Les bottines suédoises, quand on relit Les Chaussures italiennes, on sent qu’on tient entre les mains une de ces textes magiques qui, sans qu’on sache exactement pourquoi, touche au plus juste et à l’essentiel : la vie, la mort, l’amour, peut-être ? Ce qui nous fait tenir et ce qui nous fait lâcher ? Deux textes qui, en dépit d’une trame narrative qu’on ne saurait qualifier d’utopiste ou de fleur bleue, procurent une sensation de bien-être aussi précieuse qu’une douce lumière de fin d’après-midi en hiver.
Très chaudement recommandé par Fabien
Désorientale, Négar DJAVADI, éditions Liana Levi, 22 €
Dans un hôpital parisien, une jeune femme Kimia attend son médecin en salle d’attente. Dans son Iran natal, cette même salle ressemblerait à un caravansérail débordant de discussions mais le silence qui règne ici l’invite à se souvenir et à nous raconter l’histoire de sa famille sur trois générations depuis le XIXe siècle et jusque dans les années 80, date de son exil en France.
Si la première partie du roman se déroule ainsi en Iran, avec des allures de contes des mille et une nuits, ponctuée de drôles d’anecdotes, la seconde partie se déroule à Paris au début des années 80 où la famille s’est réfugiée. L’auteure racontera le déracinement et le sentiment de n’appartenir à nul pays, les chemins de traverse pour trouver sa place.
Ample fresque familiale et historique, Désorientale est un beau chant à la liberté de vivre, de penser et d’aimer.
C’est aussi un regard croisé sur l’Orient et l’Occident qui offre de belles réflexions sur l’exil et l’identité. Car n’oublions pas que ce livre est avant tout l’histoire d’une femme en quête d’elle-même.
Recommandé par toute l’équipe !
Mam’zelle Gnafron et autres pièces du Guignol lyonnais, La coopérative, 2016, 21 €
Entre la montée de la Grand-Côte et celle du Gourguillon, loin de la fade image d’Epinal, ces petits génies de la farce et démons dionysiaques que sont Guignol et Gnafron célèbrent le vin, la bonne chair et un esprit de résistance intemporel. Drôle, subversif et d’une immense inventivité langagière, ce beau recueil rend enfin disponible un monument du patrimoine littéraire lyonnais demeuré trop longtemps inaccessible !
GNAFRON. - Le commerce est arrête. J’ai plus le sou, Chignol, que je te dis, je vas me jeter en Saône !
GUIGNOL, l’arrêtant. - Dis pas de gognandises ! C’est pas en te jetant à l’eau que tu trouveras le moyen de boire de la vinasse. Vaut mieux tirer des plans.
Recommandé par Fabien
Henri CALET, Les deux bouts, Héros limite, 2016, 18 €
Par cette série de portraits infiniment touchants d’une flopée de travailleurs et travailleuses de tous âges et de toutes professions que Calet accompagne le temps d’une journée, on touche de tout près à la vie des français en 1953. A vie matérielle d’abord : les horaires de travail (souvent 50 heures hebdomadaires), les trajets, le métier, le logement. A la vie rêvée enfin : les loisirs, les aspirations et ce qui touche à l’horizon d’attente, mariage, vacances ou retraite à venir. Toute la question étant de… joindre les deux bouts ! Une sociologie à la flâne, un précieux quotidien donné à voir à ras d’homme, avec la tendresse, le style et l’humour inimitables du grand Henri Calet.
Recommandé par Fabien
Carmine CROCCO, Ma vie de brigand, Anacharsis, 2016, 18 €
Issu d’une famille pauvre du sud de l’Italie, Carmine Crocco devient en 1861″général des brigands » du Mezzogiorno. Eruptif, enragé, fin stratège, il met régulièrement en déroute les troupes gouvernementales. Embuscades, batailles, fuites, escarmouches : s’il dresse le portrait d’une personnalité attachante jusque dans ses contradictions, ce récit autobiographique échevelé et plein de vie se lit avant tout comme un palpitant roman d’aventure. Un formidable moment de lecture.
Recommandé par Fabien
Watership Down, Richard ADAMS, Monsieur Toussaint Louverture, 21,90€
Sur la paisible colline de Sandleford, au milieu de l’herbe et du cresson, se vivent de terribles aventures. Suivez Hazel le leader, Fyveer le prophète, Bigwig la brute et leur bande à la recherche de la liberté, luttant pour survivre, accomplissant des prouesses inhumaines. Bienvenue dans le quotidien de…lapins à la recherche d’une nouvelle garenne.
Un roman étonnant, rappelant Kipling et Grahame, plein d’une poésie enfantine et touchante, pour s’émerveiller dans la nature en compagnie de bêtes intrépides.
Un grand coup de cœur de Paco !
Ma part de gaulois, Magyd CHERFI, Actes sud, 19,80€
Les tribulations singulières d’un « gallo-beur » dans la cité toulousaine des années 80. Vif et touchant, un hymne en l’honneur des habitants des territoires oubliés de la République, par le chanteur et parolier du groupe toulousain Zebda.
Recommandé par Fabien & Sarah !
Mémoire de fille, Annie Ernaux, Gallimard, 15 €
Avec ce titre ultime (?), Annie Ernaux nous livre une nouvelle pièce-maîtresse d’une œuvre qui en comporte beaucoup. L’interrogation sur la mémoire et l’oubli, la honte, ce qu’on est et ce vers quoi l’on tend quand on est jeune, comment on se remet – ou pas – des chocs du passé, associés à la description précise et comme sur le vif des émois et de la découverte de la sexualité par une jeune fille – en 1958 – font de cette œuvre un choc : comment Ernaux parvient-elle à décrire avec pareille justesse et méticulosité des sentiments aussi anciens, et que soit même l’on n’a pas connus ? Magie de la littérature, quand elle touche un certain universel ? Dans tous les cas, Mémoire de fille est un joyau dont on tourne les pages avec une passion rare, une œuvre parfaitement aboutie et étonnante, qui fera date.
Recommandé par Fabien
Alamut, Vladimir BARTOL, Libretto, 13 € 80
« Rien n’est réel, tout est permis » Cet immense roman slovène publié en 1938 se déroule en Iran à la fin du XIe siècle, et met en scène des personnages historiques, notamment Omar Khayyam, le génial auteur des Quatrains, et Hassan Ibn Sabbâh, plus connu sous le nom de Vieux de la montagne, qui recueille et endoctrine de jeunes hommes pour en faire des guerriers redoutables, les fameux Hashishins, tant redoutés des Croisés. Où l’auteur offre une réflexion saisissante, et malheureusement d’une extrême actualité, sur le fanatisme, la manipulation et la quête de sens.
Recommandé par Fabien
Le harki de Meriem, Mehdi Charef, Agone, 14 €
» – Maman, c’est quoi un harki ?
– C’est quelqu’un qui a eu le courage de tout perdre pour faire vivre sa famille. »
Publié en 1983, année de la Marche pour l’égalité et contre le racisme (dite « des Beurs »), ce roman magnifique et attendrissant, dont on ne comprenait pas qu’il soit épuisé, écrit une page indispensable de notre histoire coloniale et post-coloniale. « Il ne s’engagea pas contre quelqu’un, il s’engagea contre la terre : le ventre aride de la terre. » Lecture salutaire et pleine d’actualité.
Recommandé par Fabien !
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Rire enchaîné – Petite anthologie de l’humour des esclaves noirs américains, éditions Anacharsis, 14€
Anthologie de textes humoristiques appartenant au folklore des esclaves noirs américains, Rire enchainé constitue un témoignage historique précieux de l’intérieur des plantations, qui diffère de celui des abolitionnistes, et de cette évasion par le rire. Face à un système qui interdisait l’accès des noirs à l’instruction et punissait par le fouet la lecture, l’humour devient un « processus de légitime défense », grâce auquel les esclaves en apparence ingénus tournent en dérision leurs maitres.
Formidable pied de nez à une institution niant les droits fondamentaux, un recueil humaniste et actuel contre toute forme de musellement de la parole.
Recommandé par Fabien & Sarah
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Kannjawou, Lyonel Trouillot, éd.Actes sud, janvier 2016, 18€
Dans une société où la littérature et la politique sont inextricablement liées, Lyonel Trouillot ne fait pas office d’exception. Ces mots sont des charges. Dans son dernier roman Kannjawou, il raconte son pays, l’un des plus pauvres au monde, meurtri par des décennies d’instabilité politique, et fustige son occupation par les forces militaires et les ONG, sous contrôle de la communauté internationale. On ne chasse pas des soldats avec des mots, comme le souligne Sentinelle des pas perdus, le sagace narrateur du roman, mais il est parfois nécessaire « de tout consigner » quand cela va mal. Ainsi, posté dans la rue de l’Enterrement, cette vigie inébranlable raconte le quotidien dans une terre où la richesse et la pauvreté se livrent une guerre de mouvement. La violence et l’exclusion sociale. Les bottes ennemies. Le cimetière et ses deux visages : le jour, les cortèges et les fanfares, la nuit, les coups de pioche des voleurs de cercueil. Et à travers sa voix, c’est toute une galerie virevoltante de personnages qui entre en scène, à commencer par ses amis, la fameuse « bande des cinq », dont il fait parti. Liés depuis l’enfance, ils devisent sur la marche du monde et leur avenir. Fantasmant d’improbables révolutions, ils tentent aussi d’instaurer un peu de justice sociale en créant avec quatre bouts de tôle une association culturelle pour les jeunes du quartier. Ainsi, autour du narrateur, étudiant qui passe son temps à cogiter sur la logique des parcours individuels, de Popol, son frère silencieux, de Wodné, militant révolté à la pensée radicale, et de Joëlle et Sophonie, deux sœurs broyées par les pressions sociales, il y a aussi l’inoubliable Man Jeanne, doyenne et mémoire de la rue, qui verse du pissat de chat sur la tête de ses ennemis. On découvre aussi le petit professeur, intellectuel qui travaille sur une histoire de la gauche et des mouvements progressistes. A cette rue de l’Enterrement, emblématique de ce microcosme, s’oppose le bar « Kannjawou », fréquenté par « les occupants » et « assistants aux occupants ». Ces expatriés, qui viennent s’encanailler et boire l’argent produit par le malheur des locaux, changent régulièrement de poste, « au nom de la démocratie et du principe de rotation, et pour que toutes les nations en profitent ». Dans la culture populaire haïtienne, le mot kannjawou signifie le partage et la fête, la grande fête qu’espère tant le vieil Anselme à la fin de sa vie, entouré des siens et des voisins. Mais comment penser aux divertissements et aux réjouissances quand les inégalités, les jeux entre puissances, la corruption et la pauvreté détruisent toute cause commune, tout passé, tout avenir, tout rêve ? De sa langue pareille à nulle autre, chamarrée et incarnée, Lyonel Trouillot ébauche un temps où aucun expert ne viendra imposer les directions à suivre comme si les « vies étaient des fautes d’orthographe », et célèbre, dans un roman vibrant d’humanité, deux idées souvent piétinées : la mémoire et l’espérance.
(article rédigé pour la revue Page des Libraires)
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Debout-payé, Gauz, éd. Livre de poche, novembre 2015, 6,60 €
Debout-Payé c‘est l’histoire d’Ossiri, étudiant ivoirien qui comme son père et son grand-père devient vigile au Camaïeu de Bastille et au Sephora des Champs-Élysées. Sans papiers dans la France des années 1990, c’est le seul job qu’il trouve. Chronique du quotidien d’un immigré et de sa communauté dans la capitale parisienne doublée d’un bel hommage à la famille, le livre est aussi « l’histoire politique d’un immigré et du regard qu’il porte sur notre pays (…) de la Françafrique triomphante à l’après 11-Septembre ». Mais c’est aussi un objet littéraire inattendu et génialement insolent. Car au détour des pages, Gauz retranscrit les choses vues et entendues en tant que vigile sous forme de saynètes et sentences tour à tour caustiques et poétiques à la portée quasi sociologique. En fin satiriste, il tourne en dérision notre société de consommation pour notre plus grand plaisir. Intelligent et détonnant !
Recommandé par toute l’équipe !
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Le Promeneur d’Alep, Niroz Malek, éd. Le Serpent à plume, octobre 2015, 16 €
A Alep, à la lueur d’une bougie, un homme, qui refuse de fuir le chaos, écrit jour après jour, le quotidien d’une population plongée en enfer. Journal de bord d’un écrivain résistant avec les mots aux balles ennemies, Le Promeneur d’Alep sont autant de chroniques – éclairs disant l’urgence de témoigner. La douleur et la tristesse. Les vies minuscules raflées. Le bruit assourdissant des bombardements. Les barrages à chaque coin de rue. Les jardins publics transformés en cimetière. De ces événements qui ne peuvent surgir qu’en temps de guerre. Mais de son écriture aux fulgurances poétiques évoquant la nostalgie de l’enfance et les amours colorés, Niroz Malek laisse entrevoir des éclaircies pleines d’espoir.
Recommandé par Sarah !
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Eka Kurniawan, L’Homme-tigre, éd. Sabine Wespieser, septembre 2015, 21€
Un jeune homme, qui serait hanté par un tigre, commet un crime terrible dans un petit village de Java. L’auteur, écrivain majeur dans son pays, remonte le passé pour comprendre ce geste fou. Une tragédie qui se révèle être un magnifique instantané de la société et culture indonésienne. Un sens de la narration réjouissant, de l’humour et des associations inédites d‘images pour des moments de fulgurances poétiques. Gros coup de cœur !
Recommandé par Sarah !
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Vanessa Barbara, Les Nuits de laitue, éd.Zulma, août 2015, 17,50€
Dans une petit maison jaune vit en parfaite harmonie Otto et Ada, mariés depuis des décennies. Cultivant tout deux une égale passion pour les documentaires animaliers, le ping-pong et le chou-fleur, ils sont pourtant très différents. Tandis qu’Ada, appréciée de ses voisins, participe activement à la vie du quartier, Otto est plus taciturne. La vie s’égrène paisiblement dans ce microcosme un peu farfelu. Il y a Nico, le pharmacien qui connaît sur le bout des doigts les effets indésirables des médicaments, Anibal, le facteur dilettante qui mélange le courrier, Mariana, jeune anthropologue qui s’ennuie à la maison, Teresa et ses chiens endiablés… de drôles d’hurluberlus qui cohabitent pour notre plus grand plaisir ! Mais le jour où Ada disparaît brutalement, Otto, grand lecteur de polars sanglants, se demande si on ne lui cacherait pas quelque chose…
Jouant malicieusement avec les codes du roman policier et abordant par petites touches sensibles la perte d’un être cher, Les nuits de laitue est une fantaisie loufoque et tendre qui donne un sacré coup de peps !
Recommandé par Sarah et Paco !
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